L’innovatrice de la couture intelligente
Et si les vêtements que nous portons pouvaient transcender leur caractère passif pour devenir des acteurs à part entière de notre expérience, agissant de manière proactive et intelligente ? C’est la question qui guide les pas de Anouk Wipprecht, créatrice, ingénieure et éducatrice néerlandaise, mondialement reconnue pour ses avancées technologiques dans le domaine de la mode. Récemment, nous avons eu l’occasion d’échanger avec elle sur ce qui la motive et la passionne dans ce secteur émergeant, où l’imagination se conjugue à la robotique et à la science des matériaux.
Bonjour ! Pouvez-vous vous présenter ?
ANOUK WIPPRECHT
Je suis une créatrice néerlandaise spécialisée dans l’application de la technologie à la mode. Mon travail consiste à fusionner l’électronique et le design de manière innovante. Je suis constamment à la recherche de nouvelles technologies pour repousser les limites de ce qui est possible dans le domaine de la mode. J’utilise notamment l’impression 3D pour insérer des produits électroniques. Un aspect essentiel de mon travail est de garantir que mes créations soient à la fois fonctionnelles et confortables à porter, même lorsqu’il s’agit de dispositifs électroniques portables avec des éléments motorisés à stabiliser. En plus de réaliser mes propres créations, je collabore avec des entreprises pour les aider à intégrer la technologie dans leurs produits de mode. Enfin, j’ai à cœur d’inspirer les jeunes filles à s’intéresser et à s’engager dans le domaine de la technologie.
Pouvez-vous m’en dire plus sur les technologies de la mode ?
Heartbeat Dress par Anouk Wipprecht
ANOUK WIPPRECHT
Mon travail vise fondamentalement à créer une connexion entre la technologie et le corps à travers la mode. Dans cette démarche, le design d’interaction revêt une importance capitale. En observant les objets que nous portons, je m’intéresse à leur manière d’interagir avec nous, avec notre environnement, avec les personnes qui nous entourent, et même avec nos communautés dans leur ensemble.
Qu’est-ce qui vous enthousiasme dans l’avenir des matériaux et de la technologie ?
ANOUK WIPPRECHT
La possibilité de créer un design plus émotionnel qui réponde à nos besoins de manière plus sensible. Que ce soit à travers nos vêtements, les façades des bâtiments ou les environnements que nous traversons, je suis fascinée par l’idée que ces éléments puissent devenir plus intuitifs et réactifs à nos besoins. Bien que la technologie ait été conçue pour nous aider, elle a tendance à nous submerger et à nous distraire d’une manière qui n’est pas toujours bénéfique pour notre bien-être. C’est pourquoi je m’intéresse à la façon dont nous pouvons utiliser ces avancées technologiques pour renouer avec nous-mêmes, notre communauté et le monde qui nous entoure. En imaginant une technologie qui interagit directement avec notre corps, qui le sent et le comprend, ou cela nous mènera-t-il, dans le bon comme dans le mauvais sens ?
Vous avez travaillé sur un grand nombre de projets dans différents secteurs. Pouvez-vous nous en décrire un qui vous a vraiment enthousiasmée ?
Spider Dress par Anouk Wipprecht
ANOUK WIPPRECHT
Je pense que la robe araignée est particulièrement fascinante en raison de son degré de liberté, qui permet une multitude d’animations. Elle est capable de détecter la présence des personnes dans l’espace, ce qui en fait un système intelligent. De plus, elle véhicule un message fort sur le respect de l’espace personnel. C’est donc un modèle qui revêt une grande importance à mes yeux, et je suis actuellement en train de développer une troisième version. J’aime travailler sur de nouveaux projets, mais il m’arrive également de revisiter d’anciens modèles à mesure que j’acquiers de nouvelles technologies.
Bien que je ne sois pas particulièrement reconnue pour mon travail avec les signaux corporels et les neurosciences, je suis intéressée par ce domaine. En côtoyant des experts, en assistant à des conférences et en lisant des ouvrages spécialisés, j’ai approfondi mes connaissances, ce qui a nourri l’évolution de mes projets dans cette direction.
Que recherchez-vous chez un partenaire de projet ?
ANOUK WIPPRECHT
Collaborer avec un autre designer ou un architecte repose sur la camaraderie et le partage d’une vision commune, ce qui facilite considérablement le processus de création. La dynamique est différente avec les clients. Par exemple, les fabricants de cigarettes viennent souvent me solliciter en raison de ma robe pour fumeur, cherchant à exploiter cette idée à des fins promotionnelles. Cependant, ce n’est pas l’orientation que je souhaite donner à mes projets. En revanche, dans le domaine pharmaceutique, j’ai développé un produit nommé AT Unicorn, destiné aux enfants atteints de TDAH. Ce dispositif utilise des technologies telles que l’EEG et les interfaces cerveau-ordinateur pour évaluer leur concentration, offrant ainsi une alternative aux médicaments.
Lorsque l’on travaille avec un partenaire, il est crucial de s’assurer que nos messages et nos valeurs sont alignés.
Pouvez-vous me citer une collaboration réussie ?
ANOUK WIPPRECHT
Audi avait vraiment une approche intéressante car toute son équipe était composée de femmes. Dans les salons automobile, il est courant de voir des voitures mises en valeur par une femme sexy, ce qui peut paraître dépassé et cliché. Nous avons décidé de rompre avec cette tradition en optant pour quelque chose de différent.
Nous avons choisi d’avoir des femmes fortes, presque masculines, présentes sur le stand. C’était une démarche très puissante. Ces choix audacieux bousculent les conventions établies et interrogent les pratiques habituelles : pourquoi continuer ainsi ?
Dans mes collaborations avec des entreprises, je cherche toujours comment ma présence peut contribuer à promouvoir des idées plus novatrices et progressistes. Travailler avec des artistes est bénéfique pour ces entreprises, car elles peuvent ainsi s’associer à une vision artistique en phase avec la leur, même si elles-mêmes ne peuvent pas toujours s’exprimer aussi librement.
Je crois comprendre que le meilleur partenaire est celui qui vous reconnaît pour votre travail.
ANOUK WIPPRECHT
Oui, c’est exact. Mais le processus de conception est comme une partie de ping-pong. Vous avez la balle et vous la renvoyez à votre partenaire, qui à son tour vous la renvoie. C’est un échange constant.
En pensant à l’avenir, qu’est-ce qui vous enthousiasme dans les nouveaux matériaux que vous avez vus ?
Smoke Dress par Anouk Wipprecht
ANOUK WIPPRECHT
L’ambiance qu’ils peuvent créer. Certains peuvent vous procurer une sensation de réconfort, tandis que d’autres vous donnent une impression de robustesse. La série d’échantillons que j’ai reçue présente une variété de couleurs et de textures, chacune évoquant une atmosphère unique. Certains sont doux et accueillants, d’autres plus réservés. C’est formidable de pouvoir avoir ce rendu avec des matériaux et des textures.
La texture, c’est psychologique. Lorsque nous voyons quelque chose, nous pouvons penser que c’est doux au toucher, alors que parfois la réalité est différente. Il est fascinant de pouvoir tromper légèrement les sens des gens, surtout en ce qui concerne les matériaux.
Beaucoup d’entreprises explorent l’impression 3D sur des tissus, mais souvent, le résultat est encore rigide et loin d’être lavable. Mon objectif est de développer des tissus imprimables en 3D qui soient non seulement lavables, mais aussi capables d’intégrer de l’électronique.
Ce qui me stimulerait énormément, c’est la possibilité d’imprimer en 3D avec des alliages à mémoire de forme, comme ceux qui se plient ou se déforment. Imaginons les possibilités que cela offrirait en termes de formes dans différents états, notamment dans le domaine de la robotique. Bien sûr, il reste encore des défis techniques à surmonter, en particulier pour la chaleur, mais dès que nous pourrons le faire, je suis convaincue que cela ouvrira la voie à des avancées extraordinaires dans le domaine de l’ingénierie.
Comment aimez-vous présentez votre travail dans l’espace et à travers quelle expérience ?
ANOUK WIPPRECHT
La création d’intimité, surtout dans les grands espaces, est toujours très captivante. En envisageant les choses sous cet angle, cela permet aux individus de vivre une expérience individuelle avec le design. Pour une expérience encore plus immersive, il est possible d’intégrer des structures sensorielles, comme des surfaces capables de produire des sons grâce à de minuscules perforations. Ainsi, lorsque vous passez devant un panneau, le haut-parleur est déjà intégré, offrant une interaction unique. En rendant les éléments plus sensoriels et intuitifs, ou en adaptant l’environnement de manière créative, on peut créer des expériences vraiment fascinantes.
Quels sont vos conseils pour se frayer un chemin en tant qu’artiste et designer ?
ANOUK WIPPRECHT
Tout repose sur la cohérence. Si vous observez mes créations, vous remarquerez qu’elles forment une sorte de famille, bien qu’elles émanent de projets différents. Pour moi, la cohérence réside dans votre éthique de travail, dans les relations que vous cultivez, et dans le travail que vous réalisez, en restant fidèle à certaines techniques tout en étant ouvert aux nouvelles expériences.
Que l’on soit artiste, ingénieur, peintre ou autre, notre objectif ultime est souvent de rendre le monde plus étrange, plus beau, ou simplement différent. C’est là notre raison d’être. Ainsi, si vous avez des idées, investissez-vous pour les développer et les approfondir. C’est cette signature unique qui vous lie aux autres.
C’est pourquoi il est crucial de suivre constamment sa passion et de continuer à se former sur des sujets variés, qu’il s’agisse de technologie, de logiciels ou de matériaux. Ne cessez jamais d’explorer, car dès que vous le faites, vous cessez d’être un innovateur.